VIII

 

L’homme était jeune ; il portait un short et un maillot de corps. Il introduisit l’extrémité d’une bande enroulée dans une bobine vide qu’il fit tourner du doigt deux ou trois fois afin d’assurer la prise, puis pressa la touche de mise en marche. Sur l’écran de seize pouces apparut une image ; l’homme s’assit au coin de son lit et observa.

Les premières images montraient une route au clair revêtement de béton ; des buissons et de l’herbe occupaient le terre-plein central. De chaque côté se dressaient des panneaux publicitaires vantant les mérites de produits de consommation courante. Des voitures circulaient ; l’une d’elles changea de voie, une autre ralentit pour prendre un raccourci.

Un petit camion Ford jaune jaillit sur l’écran.

Une voix s’éleva du haut-parleur : « Ceci est un camion Ford de 1952.

— Oui », fit l’homme.

Le véhicule, pris latéralement, dévoila d’abord son profil, puis s’avança vers l’écran, permettant à l’homme de l’examiner de face.

La nuit tomba. Le véhicule mit ses phares.

L’homme l’observa de devant, de côté, de derrière, accordant une attention toute particulière aux feux arrière.

Revint le jour. Filant sous le soleil, le camion changea de voie.

« Le code de la route exige que le conducteur fasse signe de la main lorsqu’il change de voie », énonça la voix.

Le camion fit halte sur l’accotement gravillonné.

« Le code exige que le conducteur fasse signe de la main lorsqu’il s’arrête », énonça la voix.

L’homme se leva et rembobina la bande.

« J’ai bien assimilé tout ça », se dit-il. Il mit une autre bande en place. Pendant ce temps, le téléphone se mit à sonner ; sans bouger, il cria : « Allô, oui ? »

La sonnerie s’interrompit et du mur suinta une voix déformée qu’il ne put reconnaître : « Il fait toujours la queue.

— Bien », fit l’homme.

Un déclic du téléphone indiqua que la communication avait cessé. L’homme acheva d’enrouler le début de sa bande et mit l’appareil en marche.

Un homme en uniforme apparut sur l’écran. Bottes qui comprimaient le bas d’un pantalon brun, ceinturon de cuir, chemise de toile brune, revolver avec holster, cravate, lourd blouson brun, casque à visière et verres teintés. L’homme en uniforme se tourna de manière à se présenter sous tous les angles puis enfourcha une moto, anima le moteur d’un coup de pied et s’éloigna sur son engin.

La caméra le suivit sur la route.

« Parfait », dit l’homme en short et maillot de corps. Il sortit son rasoir électrique, l’actionna du pouce et se rasa soigneusement sans quitter l’écran des yeux.

Le motard se mit à poursuivre une voiture qu’il ne tarda pas à rattraper et à laquelle il fit signe de s’arrêter sur le bas-côté. Tout en se rasant, l’homme étudiait l’expression du visage du policier.

Ce dernier, s’avançant, dit : « Puis-je voir votre permis de conduire, s’il vous plaît ?

— Puis-je voir votre permis de conduire, s’il vous plaît ? » répéta l’homme.

La portière de l’automobile s’ouvrit ; le conducteur, dans la quarantaine, vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon non repassé, sortit. Il mit la main à sa poche. « Que se passe-t-il, monsieur ? demanda-t-il.

— Savez-vous que la vitesse est limitée ici ? dit l’agent.

— Savez-vous que la vitesse est limitée ici ? répéta l’homme.

— Bien sûr, assura le conducteur, et je ne faisais que du quarante-cinq miles à l’heure, comme le demandait le panneau. » Il tendit ses papiers à l’agent qui les saisit ; tandis qu’il examinait le permis, un gros plan apparut sur l’écran. Cette dernière image subsista jusqu’à ce que l’homme eût fini de se raser, se fût appliqué de la lotion après-rasage sur le visage, rincé la bouche à l’antibax, passé du déodorant sous les bras et eût mis la main sur sa chemise. Puis le permis s’évanouit enfin.

« Votre permis est périmé, monsieur », déclara le motard.

Et l’homme répéta en décrochant sa chemise du cintre : « Votre permis est périmé, monsieur. »

Le téléphone sonna. Il bondit bloquer la bande et lança : « Allô, oui ?

— Maintenant, il est en train de parler à Wade Schulmann, annonça la voix déformée qui sortait du mur.

— C’est bon », fit l’homme.

Déclic. Il remit son appareil en marche, mais pour embobiner cette fois la bande, puis lâcha la touche. À cet endroit, le policier contournait une voiture et demandait à la femme qui se trouvait au volant :

« Voudriez-vous appuyer sur votre pédale de frein, s’il vous plaît ?

— Je ne vois vraiment pas à quoi rime tout ceci, miaula la conductrice offusquée. Je suis très pressée et ce contretemps est ridicule. Qui plus est, je connais un peu la législation. »

L’homme noua sa cravate, serra son lourd ceinturon de cuir et y fixa son étui à revolver. « Veuillez m’excuser, madame, fit-il en enfonçant son casque à visière, mais vos feux arrière ne fonctionnent pas, et vous n’avez pas le droit de rouler sans feux arrière. Vous allez devoir laisser votre voiture au bord de la route. Puis-je voir votre permis ? »

La sonnerie du téléphone retentit une nouvelle fois tandis qu’il enfilait son blouson.

« Allô ? fit-il tout en se contemplant dans la glace.

— Il marche en direction de la voiture avec Wade Schulmann et Philip Burns, indiqua l’étrange voix.

— D’accord. » Il manipula son magnétoscope et figea la bande à l’endroit où le policier apparaissait en gros plan, de face, puis devant la glace étudia la comparaison. De son propre aveu, la ressemblance était parfaite.

« Ils entrent maintenant dans la station Standard, annonça la voix. Préparez-vous à partir.

— Je suis en route », répondit-il. Il ferma la porte derrière lui et monta la sombre rampe de béton au bout de laquelle l’attendait sa moto. Il enfourcha l’engin et porta tout son poids sur le kick de démarrage ; le moteur vrombit. Il fit glisser la moto jusqu’à la rue et là, mit son phare, serra la poignée d’embrayage, enclencha la vitesse et relâcha la poignée en donnant des gaz. La moto bondit dans un bruit d’enfer ; il se tint crispé jusqu’à ce qu’il eût pris de la vitesse puis se détendit et se redressa confortablement. À la première intersection, il tourna à droite en direction de la grand-route.

Ce n’est qu’un peu plus tard qu’il se rendit compte qu’il avait oublié quelque chose. Mais quoi ? Quelque chose qui faisait partie de son uniforme.

Les lunettes noires.

Devait-il les porter la nuit ? Il tenta de se souvenir. Peut-être pour éviter d’être ébloui par les phares des véhicules venant en sens inverse. Alors, une main au guidon, il tâta les poches de son blouson. Victoire ! Elles s’y trouvaient ; il les mit.

Comme tout paraissait sombre avec ces lunettes ! L’espace d’un instant, seule l’obscurité s’offrit à ses yeux.

Peut-être s’agissait-il d’une erreur.

Il fit quelques essais en plaçant alternativement ses lunettes devant les yeux puis en les ôtant. Sur sa gauche vint le côtoyer un gros véhicule auquel il ne prêta guère attention. C’était une voiture tirant une caravane ; il accéléra pour la dépasser mais la voiture accéléra, elle aussi.

Diable ! Il avait tout de même oublié quelque chose – ses gants. Le froid commençait à engourdir ses mains. De l’une il tenait le guidon et de l’autre ses lunettes.

Avait-il le temps de rebrousser chemin ? Non, décida-t-il.

Il guetta alors le petit camion Ford jaune qui devait emprunter la route à l’endroit signalé par les panneaux lumineux.

La voiture qui tirait une caravane, sur sa gauche, l’avait à présent dépassé et il se rendit compte qu’elle se glissait progressivement dans sa voie. Bon sang ! Il mit ses lunettes en poche et obliqua vers la voie de droite ; un violent coup de klaxon lui fit savoir qu’un autre véhicule se trouvait sur sa droite. Il voulut donc reprendre sa position originale, mais au même instant l’automobile et sa remorque se rabattirent sur lui. Sa main vola à l’avertisseur. Quel avertisseur ? Les motos disposaient-elles d’avertisseurs – non, de sirènes.

Lorsqu'enfla le hurlement de la sirène, la caravane cessa de harceler le motard et réintégra la voie de gauche, tandis que la voiture qui roulait sur sa droite lui cédait davantage de place. Voyant cela, il ressentit un surcroît d’assurance.

Au moment où il repéra le petit camion jaune, il commençait à aimer son travail.

 

 

Dès l’instant où il entendit la sirène derrière lui, Ragle comprit qu’on était décidé à l’avoir. Il n’accéléra pas plus qu’il ne ralentit, mais attendit de pouvoir s’assurer que c’était une moto, et non une voiture, qui le pourchassait. Et il n’en vit qu’une.

Voici venu, songea-t-il avec quelque ironie, le moment de faire usage de mon sens du temps et de l’espace, de mon admirable talent.

Il se livra à une sommaire estimation de la circulation autour de lui, de la position et de la vitesse des véhicules. Puis une fois les données gravées dans son esprit, il passa brutalement dans la voie de gauche en s’insérant entre deux voitures. Celle qui suivait, n’ayant pas le choix, dut ralentir. Il venait ainsi, en un tournemain, de glisser son véhicule au sein d’un groupe dense. Ensuite sans perdre de temps il se faufila de voie en voie jusqu’à ce qu’il eût réussi à se placer devant un énorme semi-remorque le masquant à la vue de tout ce qui se trouvait derrière. La sirène hurlait toujours, mais il ne lui était plus possible de déterminer l’exacte position de la moto, qui à son avis avait indubitablement perdu sa trace.

Placé comme il l’était devant le semi-remorque, il bénéficiait d’un atout majeur ; ses feux arrière, les seuls grâce auxquels le policier pouvait le repérer, n’étaient pas visibles.

Pourtant, la moto jaillit soudainement sur la voie de droite, le motard tourna la tête et reconnut Ragle, mais ne put s’approcher en raison de la circulation trop compacte qui lui imposait de poursuivre sa route. D’ailleurs, les automobilistes n’étaient pas en mesure de dire qui était poursuivi, et songeaient par conséquent que le policier essayait simplement de progresser.

Maintenant, il va m’attendre, présuma Ragle. Aussitôt, il déboîta et s’engagea sur la voie de gauche de manière à garder une voie d’écart entre le motard et lui. Selon son calcul, le policier s’arrêterait sur le bas-côté. Ragle ralentit de sorte que les voitures qui le suivaient furent obligées de le doubler sur la droite, épaississant ainsi le flux de ce côté.

Il entrevit furtivement la moto arrêtée sur l’accotement. Le policier en uniforme scrutait le flot des véhicules, mais ne vit pas passer le petit camion jaune. Quelques secondes plus tard, à bonne distance, Ragle était en sécurité. Alors seulement il décida d’aller plus vite et s’échappa pour la première fois du peloton.

Il ne tarda pas à apercevoir le panneau qu’il guettait.

Mais ne vit pas la station Seaside où il était censé se rendre.

Bizarre, songea-t-il.

Il se dit qu’il avait intérêt à quitter cette route pour éviter une nouvelle poursuite. Il était sans nul doute en infraction : le pare-chocs du camion n’était peut-être pas muni de plaques réfléchissantes réglementaires. N’importe quelle excuse qui pût permettre à l’appareil de se mettre en marche pour l’enserrer dans ses rouages.

C’est ma psychose, je le sais, mais je refuse malgré tout de me faire prendre.

Il tendit le bras et quitta la route ; le camion s’enfonça en cahotant dans un champ sale et encroûté. Dès l’arrêt, Ragle coupa le moteur et éteignit les phares en songeant que personne ainsi ne le remarquerait. Mais où diable se trouvait-il ? Et qu’allait-il faire ensuite ?

Hissant le cou, il fouilla en vain l’horizon pour y déceler un signe trahissant l’existence de la station Seaside. Au-delà de l’intersection éclairée où une petite route franchissait l’axe fréquenté qui menait à la ville, les ténèbres reprenaient leurs droits.

Plus loin, l’œil exercé pouvait distinguer une enseigne au néon isolée.

Je vais aller y jeter un coup d’œil, décida-t-il. Ou puis-je prendre le risque de rejoindre la route ?

Il patienta jusqu’à ce qu’il vît arriver une meute compacte qu’il devança d’un quart de seconde en lançant son camion sur la route, le moteur rugissant. Si un motard survenait, ses feux arrière seraient noyés dans l’ensemble, et par conséquent difficilement repérables.

Ragle se rendit bientôt compte que l’enseigne annonçait un relais. Soudaine illumination – un parking couvert de gravier. De hautes lettres droites :

 

FRANK’S BAR-B-Q AND DRINKS

 

Les baies toutes de lumière d’un bâtiment pentagonal à un étage, enduit de stuc, de type moderne. Quelques voitures seulement garées devant. Ragle fit signe et s’engagea prestement sur le parking ; le camion s’arrêta de justesse à un doigt du mur de l’établissement. Tout tremblant, il passa la première et mena son véhicule à l’abri des regards, de l’autre côté, parmi les poubelles et les amas de caisses de l’entrée des fournisseurs.

Après quoi, il descendit et revint à pied devant le relais afin de s’assurer que son camion était correctement dissimulé. Oui. Les passagers d’une voiture filant sur la route ne pouvaient le voir. Et si on lui posait des questions, il n’avait qu’à nier tout rapport avec le véhicule. Comment pourrait-on prouver qu’il était venu à son bord ? Je suis venu à pied, rétorquerait-il. Oui, j’ai fait du stop et la voiture qui m’a déposé ici a tourné à l’intersection.

Il poussa la porte du Bar-B-Q et entra. Peut-être pourra-t-on me dire, pensa-t-il, où se trouve la station Seaside. Sans doute est-ce ici que je suis censé me procurer le sandwich et le lait malté.

En fait, se dit-il, tout est là pour me convaincre. Comme à la station d’autocars, il y a trop de monde ici, c’est net. C’est le même système.

Des couples occupaient la quasi-totalité des boxes ; assis autour du comptoir circulaire au milieu de la salle, de nombreux clients buvaient ou mangeaient. Une odeur de hamburger en train de frire flottait dans l’air, un juke-box s’égosillait dans un coin.

Comment expliquer qu’il se trouvât tant de monde à l’intérieur quand le parking était pratiquement désert ?

Comme on ne l’avait pas encore remarqué, semblait-il, il jugea plus prudent de refermer la porte avant même d’avoir fait un pas à l’intérieur. Traversant rapidement le parking, il contourna l’établissement et rejoignit son petit camion.

Trop grand. Trop moderne. Trop éclairé. Trop peuplé. S’agit-il du stade ultime de mes troubles mentaux ? La suspicion à l’égard des gens… des groupes, de l’activité, des couleurs, de la vie et du bruit humains. Un sentiment pervers m’exhorte à tout fuir, à rechercher la nuit.

De nouveau plongé dans l’obscurité, il se glissa à tâtons dans la cabine, mit le moteur en route et, tous feux éteints, fit marche arrière jusqu’à amener le véhicule face à la route. Dès qu’il le put, il s’engagea sur la voie de droite. Comme auparavant, le voici qui s’éloignait de la ville au volant d’un camion qui ne lui appartenait pas. La propriété d’un pompiste qu’il venait de voir pour la première fois. Il était en train de voler ce camion, et il en était conscient. Mais que pouvait-il faire d’autre ?

Je sais qu’ils conspirent contre moi, se répétait-il. Les deux soldats tout comme le pompiste. Je suis victime d’un complot impliquant également la station d’autocars, et le chauffeur de taxi. Tout le monde. Je ne puis faire confiance à personne ; ils m’ont envoyé avec ce camion pour que je me fasse pincer par le premier motard venu. Il y a des chances pour que l’arrière du camion s’allume et qu’il y ait marqué dessus ESPION RUSSE. Une espèce de « frappez-moi » paranoïaque.

Oui, je suis l’homme sur le dos duquel est épinglé FRAPPEZ-MOI. Il a beau essayer de tourner sur lui-même, impossible de voir l’inscription – mais son intuition lui dit qu’elle s’y trouve. Il observe les gens, les juge et en tire sa conclusion. Il devine la présence de l’inscription dans son dos car il les voit s’aligner pour le frapper.

Ne pas pénétrer dans les lieux très éclairés. Ne pas entamer de conversation avec des gens que je ne connais pas. En ce qui me concerne actuellement, les véritables étrangers n’existent pas : tout le monde me connaît. Je n’ai que des amis et point d’ennemis…

Des amis ? Qui ? Où ? Ma sœur ? Mon beau-frère ? Les voisins ? Je leur fais tout autant confiance qu’à quiconque. Mais pas assez.

Voilà où j’en suis.

Il roulait toujours. Plus d’enseignes au néon au bord de la route. De part et d’autre s’étendaient des terres sans vie chargées de ténèbres. La circulation avait considérablement diminué : de loin en loin seulement une voiture venant en sens inverse fouettait du faisceau de ses phares le terre-plein de séparation.

Il était seul.

Baissant les yeux, il s’aperçut que le tableau de bord du camion comportait un poste de radio, avec son cadran et ses deux boutons.

Si j’allume, je vais les entendre parler de moi.

Il tendit la main, hésita puis alluma. L’appareil commença par bourdonner ; les lampes se mirent à chauffer, et des sons se précisèrent. Ragle joua avec le bouton de volume.

« … après », miaula une voix.

« … pas », fit une autre.

« … ce que j’ai pu. »

« … d’accord. » Une série de « pop ».

Ils échangent des appels, se dit Ragle. L’alarme règne sur les ondes. Ragle Gumm nous a échappé ! Ragle Gumm s’est sauvé !

La voix grinça : « … averti. »

C’est cela, ricana Ragle, la prochaine fois, envoyez une équipe plus avertie. Bande d’amateurs.

« … ferait bien… pas aller plus loin. »

On ferait bien de laisser tomber, compléta Ragle. Inutile de continuer à le poursuivre, il est trop perspicace, trop rusé.

La voix miaula encore : « … dit Schulmann. »

Ce doit être le commandant Schulmann, se dit Ragle, dont le quartier général doit se trouver à Genève. Un commandement suprême qui trace sur une carte un plan stratégique secret jusqu’au plus haut niveau et synchronise dans le monde entier des mouvements militaires qu’il fait converger sur mon petit camion. Des flottes de navires de guerre qui font route vers moi. Un canon atomique. Le mécanisme habituel.

Il coupa la radio parce que la voix aiguë commençait à lui mettre les nerfs à vif. Comme des souris, des souris bavardes et excitées qui n’arrêtaient pas de se lancer des cris… et finissaient par lui donner des frissons.

À en croire le compteur, il venait déjà de parcourir une vingtaine de miles sans rencontrer d’agglomérations, sans distinguer de lumières. La circulation avait même cessé à présent. Rien que la route qu’il engloutissait, le terre-plein qui filait sur sa gauche, ses phares qui balayaient la chaussée.

Des étendues sans relief aucun noyées dans la nuit. Et au-dessus, les lointaines étoiles.

Pas même une ou deux fermes ? Quelques panneaux ?

Mon Dieu, que se passerait-il si je tombais en panne ici ? Où suis-je ? Quelque part ?

Peut-être qu’en fait, se dit-il, je ne suis pas en train d’avancer, peut-être que je suis coincé entre deux lieux, avec les roues du camion qui patinent dans le gravier, qui patinent inutilement et pour l’éternité… L’illusion du mouvement, le vacarme du moteur, le bruit des roues, les phares sur la route. Mais en réalité, l’immobilité.

Son malaise était pourtant tel qu’il se refusait à descendre du camion pour inspecter les environs. Au diable ! Là, à l’intérieur de la cabine, il était au moins en sécurité ; une coquille de métal assurait sa protection. Un tableau de bord devant lui, un siège sous lui, des compteurs, un volant, des pédales et des boutons.

Cela valait mieux que le désert du dehors.

Puis il aperçut une lueur au lointain, sur la droite. Et un peu plus tard, ses phares giflèrent un panneau annonçant une intersection. Ayant le choix, Ragle décida de tourner à droite, en prenant soin de ralentir.

Ses phares lui révélèrent une chaussée étroite et détériorée sur laquelle le camion se mit à cahoter et à tanguer de telle façon que Ragle jugea plus prudent d’avancer à vitesse très réduite. La petite route abandonnée n’était pas entretenue. Les roues avant du Ford tombèrent dans un creux ; Ragle rétrograda et faillit s’arrêter. Encore un peu et je brisais l’essieu. Il continua de rouler en redoublant de prudence ; bientôt la route décrivit un virage et s’éleva.

Des collines à la végétation fournie le cernaient désormais ; il entendit craquer une branche sous ses roues. Quand un animal au blanc pelage détala soudain effarouché, il donna un grand coup de volant pour l’éviter et les roues du camion mordirent la terre. Terrifié, il contre-braqua violemment de peur d’entrevoir le cauchemar évoqué un instant auparavant… il se voyait immobilisé, en train de patiner et de s’enfoncer dans le sol meuble, friable.

La pente devenait si raide qu’il dut passer en première ; la chaussée conventionnelle avait à présent cédé la place à la terre battue où d’autres véhicules avaient déjà creusé de profondes ornières. Quelque chose frotta le haut du camion : il baissa instinctivement la tête. Les phares transperçaient le feuillage et quittaient la route à l’amorce des lacets. Un virage à gauche en épingle à cheveux l’obligea à malmener le volant réticent et la route réapparut, enchâssée au cœur de buissons avides, avant de rétrécir. Ragle écrasa le frein quand le camion, tout à coup, franchit un nid-de-poule et fit une embardée.

Le véhicule quitta la chaussée dans le virage suivant ; les deux roues droites mordirent la futaie. Le camion dérapa, Ragle freina à mort. Le moteur cala, le véhicule se mit à pencher. Se sentant glisser, Ragle n’eut que la ressource de s’agripper des deux mains à la poignée de la portière. Le camion se souleva encore en gémissant puis s’arrêta, à demi retourné.

Il n’ira pas plus loin, se dit Ragle.

Quelques secondes plus tard, il ouvrait la portière et s’extrayait de la cabine.

Le faisceau des phares éclairait les arbres, les bosquets touffus et le ciel au-dessus, mais épargnait pratiquement la route qui poursuivait son ascension. Ragle se retourna et plongea son regard dans la vallée. Il distinguait les points lumineux en ligne de la grand-route mais ne décela aucune agglomération ou installation humaine. L’arête de la colline tranchait net le flot jaune des phares.

Il se mit à gravir la route à l’aveuglette ; quand du pied droit il frôlait des feuilles, il se dirigeait sur la gauche. Le système du radar.

 

 

Il entendait bruire dans le feuillage et les buissons des choses qui fuyaient au son de son approche. Des bestioles inoffensives, sans quoi elles ne détaleraient pas aussi vite que possible, songeait-il.

Le sol disparut soudain sous son pied ; il tituba mais parvint néanmoins à garder l’équilibre. La route était redevenue horizontale. Il s’arrêta, haletant de la frayeur qui venait de l’étreindre, l’espace d’un quart de seconde. Il avait atteint le sommet de la colline.

Sur sa droite, les lumières d’une maison en retrait attirèrent son attention. C’était une petite ferme habitée. Il en prit la direction en empruntant un chemin sale et se heurta à une palissade dont il découvrit le portail à tâtons. Le chemin, qui se réduisait à deux profondes ornières, continuait jusqu’à la maison ; au bout de quelques chutes, Ragle parvint aux marches de pierre.

Bras tendus, il gravit l’escalier et une fois à l’entrée, fit courir ses doigts jusqu’au moment où ceux-ci se refermèrent sur une antique plaque de sonnette.

La porte s’effaça devant une femme d’âge moyen, brune, peu typée. Elle portait un pantalon havane, une chemise à carreaux rouges et bruns et des bottines à pressions. Il ne put s’empêcher de penser : C’est Mrs. Keitelbein. Mais ce n’était pas elle. Leurs regards se croisèrent.

« Oui ? » demanda-t-elle. Derrière elle, dans la salle de séjour, un homme dévisageait Ragle de loin. « Que voulez-vous ?

— Ma voiture est immobilisée, répondit Ragle.

— Oh ! entrez, dit la femme en lui tenant la porte grande ouverte. Êtes-vous blessé ? Vous êtes seul ? » Elle ressortit aussitôt pour vérifier qu’il n’y avait personne d’autre.

« Oui, je suis seul », dit-il. Un mobilier en érable madré… Une chaise basse, une table, un long banc qui supportait une machine à écrire portative. Un âtre. Des planches larges, d’énormes poutres au-dessus de la tête.

« C’est joli », dit-il en s’approchant de la cheminée.

Un homme, un livre ouvert entre les mains.

« Vous pouvez vous servir de notre téléphone, déclara-t-il. Cela fait longtemps que vous marchez ?

— Pas trop », fit Ragle. L’homme avait un visage ouvert et débonnaire, semblable à celui d’un adolescent ; il paraissait considérablement plus jeune que la femme qui avait accueilli Ragle ; peut-être était-ce son fils. On dirait Walter Keitelbein. Frappante ressemblance. Il aurait juré, un instant, que…

« Vous avez eu de la chance de nous trouver, dit la femme. Notre maison est la seule de la colline qui soit occupée. Les autres gens ne viennent qu’en été.

— Je vois.

— Nous, nous sommes ici toute l’année », dit le jeune homme.

La femme se présenta : « Je suis Mrs. Kesselman. Et voici mon fils. »

Ragle les dévisagea, sidéré.

« Qu’y a-t-il ? s’enquit Mrs. Kesselman.

— Je – j’ai dû reconnaître le nom », balbutia Ragle.

Qu’est-ce que cela impliquait ? La femme n’était absolument pas Mrs. Keitelbein, pas plus que son fils n’était Walter ; la ressemblance ne pouvait donc rien signifier.

« Que faites-vous par ici ? demanda Mrs. Kesselman. C’est un coin complètement perdu quand il n’y a personne. Je sais que cela peut paraître paradoxal que je dise ça, puisque nous y vivons.

— Je voulais voir un ami », mentit Ragle.

Les Kesselman hochèrent la tête ; apparemment, la réponse les satisfaisait.

« Ma voiture a quitté la route et s’est retournée dans un virage.

— Oh ! mon Dieu, s’exclama Mrs. Kesselman. C’est terrible ! Et elle a été loin, au fond du petit ravin ?

— Non, mais il faudra la haler pour la remettre sur la route. J’ai peur d’entrer dedans, elle pourrait glisser plus bas.

— Surtout n’y touchez pas, recommanda Mrs. Kesselman. On a déjà vu des voitures franchir le bord et dégringoler jusqu’en bas. Voulez-vous téléphoner à votre ami pour lui dire que vous êtes sain et sauf ? »

Ragle répondit qu’il ne connaissait pas son numéro.

« Est-ce que vous ne pouvez pas regarder dans l’annuaire ? suggéra le jeune Kesselman.

— Je ne sais même pas comment il s’appelle, dit Ragle. Je ne sais même pas si c’est un ami ou une amie. Et je ne sais même pas, ajouta-t-il pour lui-même, s’il ou elle existe. »

Les Kesselman le gratifièrent d’un sourire confiant, présumant bien sûr que les paroles qu’il venait de prononcer n’étaient pas aussi énigmatiques qu’elles pouvaient le paraître.

« Voulez-vous appeler une dépanneuse ? » proposa Mrs. Kesselman. Mais son fils la reprit aussitôt.

« Personne n’enverra de dépanneuse ici en pleine nuit. Nous en avons déjà fait l’expérience avec les garages ; impossible de les faire remuer.

— C’est vrai, confirma Mrs. Kesselman. Oh ! c’est un sale problème. Nous avons toujours eu peur que cela nous arrive, mais nous n’avons jamais eu ce genre d’accident. Évidemment, on connaît si bien la route au bout de quelques années.

— Je serai heureux, avança le jeune homme, de vous conduire chez votre ami si vous savez à peu près où c’est. Ou bien je peux vous ramener jusqu’à la grand-route, ou vous descendre en ville. » Il lança un regard à sa mère, qui approuva.

« C’est infiniment aimable de votre part », dit Ragle. Mais il ne voulait pas partir. Il se plaça près de la cheminée pour se réchauffer et jouir de la paix qui régnait dans la pièce. À divers titres, cette demeure semblait être la maison la mieux agencée qu’il eût jamais vue, pour autant que sa mémoire ne lui fît pas défaut. Les reproductions au mur. Point de bric-à-brac[9] inutile ou d’objets en surcharge. Les livres, les meubles, les rideaux, tout était disposé, arrangé avec goût… et comblait le sens inné de l’ordre qui constituait un des aspects les plus solides de la personnalité de Ragle. Il décelait en cet endroit un réel équilibre esthétique qui expliquait l’apaisement qu’il ressentait.

Mrs. Kesselman attendait qu’il dise ou fasse quelque chose. Alors, comme il s’obstinait à rester debout sans bouger près de l’âtre, elle lui demanda : « Voulez-vous boire quelque chose ?

— Volontiers. Je vous remercie.

— Je vais aller voir ce qu’il y a ; excusez-moi. » Elle quitta la pièce.

« Pas très chaud, dehors, observa son fils.

— Non », fit laconiquement Ragle.

L’homme tendit gauchement la main.

« Je m’appelle Garret, dit-il tandis qu’ils échangeaient une poignée de main. Je suis dans la décoration d’intérieur. »

Ce qui expliquait l’art avec lequel la pièce avait été aménagée. « Ce doit être intéressant, dit Ragle.

— Et vous, que faites-vous ? demanda Garret Kesselman.

— Je travaille pour la presse.

— Oh ! dites donc, c’est vrai ? Vous devez faire un travail passionnant. Quand je faisais mes études, j’ai suivi des cours de journalisme pendant un ou deux ans. »

À cet instant, Mrs. Kesselman revint chargée d’un plateau où tintaient trois petits verres et une bouteille de forme peu commune. « Du whisky du Tennessee, dit-elle en posant son plateau sur la surface de verre de la table basse. De la distillerie la plus ancienne du pays ; c’est du Jack Daniels carte noire, du sourmash.

— Je ne connais pas, avoua Ragle, mais cela me semble alléchant.

— C’est un excellent whisky, insista Garret en présentant un verre à Ragle. Un peu comme du whisky canadien.

— D’ordinaire, je bois surtout de la bière. » Ragle goûta le whisky en question, le trouva parfait. « Excellent. »

Un instant de silence.

« Le moment est plutôt mal choisi pour se promener dans les environs si vous voulez voir quelqu’un, observa Mrs. Kesselman quand Ragle, ayant vidé son verre, s’en versa un second. La plupart des gens qui s’attaquent à cette colline le font pendant la journée. » Elle prit place en face de Ragle. Son fils était perché sur l’accoudoir du canapé.

« J’ai eu une prise de bec avec ma femme, conta Ragle, et comme je ne supportais plus de rester, je suis parti.

— C’est malheureux, commenta Mrs. Kesselman.

— Je n’ai même pas pris le temps de préparer mes valises, poursuivit-il. Je n’avais aucun but, je voulais simplement m’en aller. Et puis je me suis souvenu d’un ami et je me suis dit que je pouvais peut-être m’enterrer chez lui pendant un bout de temps jusqu’à ce que cela aille mieux. Cela fait des années que je ne l’ai pas vu. Il a sûrement dû déménager depuis longtemps. C’est horrible quand un mariage se brise ; on dirait la fin du monde.

— Oui », convint Mrs. Kesselman.

C’est alors que Ragle demanda : « Croyez-vous que je puisse rester ici cette nuit ? »

Les Kesselman échangèrent un regard pour le moins embarrassé avant de prendre tous deux la parole en même temps. En substance, la réponse était non.

« Il faut que je reste quelque part » geignit Ragle. Il plongea la main dans la poche intérieure de son manteau, sortit son portefeuille, l’ouvrit et compta l’argent qui s’y trouvait. « J’ai quelques centaines de dollars sur moi, ajouta-t-il. Je peux vous payer pour vous dédommager de l’embarras que cela vous cause. Je peux vous payer. »

Mrs. Kesselman répondit la première : « Il faut que nous en discutions. » Elle se leva et disparut dans une autre pièce en compagnie de son fils, refermant la porte derrière elle.

Je dois rester ici, se persuadait Ragle. Il se reversa un verre de whisky et revint auprès de la cheminée qui l’inondait de sa chaleur.

Il se mit à songer au camion. Avec la radio à bord. Il devait leur appartenir, ce qui expliquait la présence du poste. Le pompiste de la station Standard devait être leur agent.

Cette radio constitue une preuve bien réelle. Je ne l’ai pas inventée.

Vous les connaîtrez à leurs fruits, dit la Bible.

Et en l’occurrence, ils communiquaient par radio.

La porte s’ouvrit, entrèrent Mrs. Kesselman et son fils. « Nous avons réfléchi, déclara-t-elle en s’asseyant sur le canapé en face de Ragle, tandis que son fils restait debout auprès d’elle, le visage grave. Il est clair que vous êtes en détresse, et nous vous permettons de rester car nous nous rendons bien compte de la situation pénible dans laquelle vous vous trouvez. Seulement, nous voulons que vous vous montriez honnête et franc à notre égard, ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Vous ne nous avez pas tout dit.

— Vous avez raison », s’inclina Ragle.

Mère et fils se regardèrent.

« J’étais en voiture et j’avais l’intention de me suicider. Je voulais foncer et sortir de la route pour me jeter dans une gorge ; mais je me suis affolé. »

Les Kesselman le fixèrent de leurs yeux horrifiés. « Oh ! non », glapit Mrs. Kesselman. Elle se leva et s’approcha de lui. « Gumm.

— Je ne m’appelle pas Gumm », gronda Ragle. Mais on l’avait manifestement reconnu, et ce depuis le début.

Tout le monde dans l’univers me connaît, alors quelles raisons ai-je de m’étonner ? D’ailleurs, je ne m’étonne pas.

« Je savais qui vous étiez, dit Mrs. Kesselman, mais je ne voulais pas vous mettre dans l’embarras si vous ne désiriez pas nous le dire.

— Si vous permettez, s’insinua Garret, peut-on me dire qui est M. Gumm ? Je suppose que je suis censé le savoir, mais ce n’est pourtant pas le cas. »

Sa mère lui répondit : « Voyons, c’est lui qui gagne tout le temps le concours de La Gazette. Rappelle-toi l’émission sur lui que nous avons vue la semaine dernière à la télévision. » Et, s’adressant à Ragle : « Oh ! vous savez, je sais tout sur vous. Moi, en 1937, j’ai participé au concours du Vieil Or. J’ai répondu juste à chaque question de la première à la dernière.

— Il faut dire qu’elle a triché, glissa Garret.

— Oui, avoua-t-elle. Une amie et moi, nous sortions vite à l’heure du déjeuner et avec cinq dollars que nous rassemblions, nous achetions à un petit vendeur de journaux assez vieux des informations écrites sur un billet qu’il nous passait sous le comptoir. »

Garret observa : « J’espère que cela ne vous fait rien de dormir au sous-sol. Ce n’en est plus vraiment un, remarquez, puisque nous l’avons transformé en débarras il y a quelques années. Vous y trouverez une baignoire et un lit… nous nous en sommes servis pour des invités qui ne pouvaient pas redescendre.

— Vous n’avez plus l’intention de… d’en finir avec vous-même, n’est-ce pas ? demanda Mrs. Kesselman. Vous n’y songez plus, j’espère ?

— Non », dit Ragle.

Elle soupira de soulagement : « Je suis si contente de vous l’entendre dire ! Vous savez, comme ancienne collègue, cela m’aurait fait un choc. Nous souhaitons vous voir continuer de gagner.

— Songe seulement, ajouta Garret, nous resterons dans l’histoire, nous, les personnes qui avons empêché – il trébucha sur le nom – M. Gumm de céder à l’impulsion qui le menait au suicide. On associera notre nom au sien ; ce sera la gloire.

— La gloire », convint Ragle.

Une autre tournée de whisky du Tennessee emplit les verres. Assis dans la salle de séjour, tous trois se regardaient en buvant.

Le Temps Désarticulé
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